> Pour le plaisir : légende du Vimont
Racontée par Compigne dans Terres druidiques et féodales (années 1910).
On était en décembre. On ne sait plus, toutefois, en quelle année. C’était peut-être au XV° siècle. C’était peut-être au XIV°
. Peut-être même était-ce au temps où les bêtes parlaient. En tout cas, il y a bien longtemps. La jeunesse paysanne s'en
allait faire la veillée aux "Mazioux". A l'orée du bois, ils rencontrèrent un étranger qui semblait les attendre. Si les villageois
furent imprudents, les jeunes villageoises, en vérité, furent bien autrement légères. Elles invitèrent l’étranger à les suivre. La
curiosité les dévorait. Elles souriaient malicieusement. Leurs regards brillaient comme des étoiles. Il va de soi que c’était un
magnifique jeune homme. S’il eut été laid, vieux ou mal vêtu, toutes ces jouvencelles vous l’eussent laissé sur la lande. Mais il avait
toutes les apparences d'un aimable gentilhomme. Il avait des plumes à sa toque et des dentelles à son pourpoint. Il avait des cheveux
bouclés qui tombaient gracieusement sur son col, de belles moustaches conquérantes et une barbe en pointe. Il était de visage agréable
et de fort jolie tournure. Il n’en fallait pas tant pour plaire… On traversa la forêt. On la traversa avec toute la lenteur du
monde. Le bel étranger avait pris par la taille la plus mignonne des paysannes. Il l’embrassa une fois, puis deux, puis
trois. Il l’embrassa vingt fois. Ses compagnes souffraient et soupiraient. Mais l’une après l’autre eut son tour. On arriva enfin
au Mazioux chez Maître Martin Truchecorne. On dansa la bourrée. C’était une danse bruyante. Les sabots, frénétiquement,
martelaient le sol de terre battue. L’enfant tira le vieillard par la barbe : « - Regarde grand-père, regarde cet homme qui lance
du feu par la bouche ! ». L’homme c’était le mystérieux étranger. L’aïeul comme son petit-fils voyait maintenant l’anormale
chose, les yeux phosphorescents du monstre, ses pieds fourchus, les jets de flamme qui s’échappaient de ses lèvres. Le diable ! On
s’arrêta de danser dans un brouhaha affolé. Des jeunes filles se trouvaient mal. Plusieurs que le Malin avait embrassées se
voyaient déjà au fond des Enfers. L’infernal danseur n’était plus là. Il n’était plus là, mais voilà qu’un coq, tout en haut d’un
bahut, se mit à lancer de perçants cocoricos. On dévala à Saint-Jean-la-Vêtre et on ramena le curé. Brandissant le goupillon, il
exorcisa la bête. Et le diable dut reconnaître que la partie était perdue. Mais c’était en somme le plus inoffensif des diables. Il
demanda lui-même à s’en aller. On lui ouvrit la porte. Les gens cependant craignaient quelque mauvaise niche. Il poussa la
condescendance jusqu’à les rassurer. Il pouvait s’en aller de mille façons. Il pouvait s’en aller en eau. Il pouvait s’en aller en feu.
Il pouvait s’en aller en vent. Un ouragan est moins à craindre qu’un incendie. Il y aurait sûrement une tempête. Le curé exigeait
encore qu’elle n’eût point lieu sur sa paroisse. Et le diable s’en alla jusqu’au Vimont. C’est de là qu’il se précipita dans les
abîmes. Mais la violence du vent fut telle que toute la végétation fut anéantie. Il n’y repoussa jamais rien. Et voilà pourquoi le
Vimont à son sommet pelé.
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